HERVÉ GUIBERT, DAVID WOJNAROWICZ at FITZPATRICK GALLERY / PARIS

HERVÉ GUIBERT, DAVID WOJNAROWICZ FOR AN EARLY DEATH

Curated by Hugo Bausch Belbachir and Thomas Villemin

Jan 28 2023 – Feb 28 2023


FITZPATRICK GALLERY PARIS
123 Rue de Turenne
75003 — Paris

In collaboration with Les Douches la Galerie (Paris) and New Galerie (Paris). With the generous support of Christine Guibert and Marion Scemama.

 For an early death¹

Si le nom d’Hervé Guibert (1955 – 1991) fut mentionné à David Wojnarowicz (1954 – 1992) par son amie et collaboratrice Marion Scemama en 1990, les deux ne se seront jamais rencontrés. Morts à quelques mois d’intervalle, entre l’hiver 1991 et l’été 1992, Hervé Guibert et David Wojnarowicz – tous deux touchés par l’épidémie du SIDA – ont concomitamment déployé leurs forces à l’élaboration d’une œuvre sur l’amour, la sexualité, la maladie et la mort.

Dans leur jeunesse, tous deux aspirent à des rêves d’écritures et de photographies. En 1977, âgé seulement de vingt-et-un an, Hervé Guibert inaugure la rubrique photographique pour Le Monde. Il écrit sur les plus grands noms de la photographie, s’émancipe du seul usage mnémonique du Rollei 35 de son père et côtoie une certaine élite intellectuelle française. Parmi eux, il y a Michel Foucault. Dans son appartement, rue Vaugirard, on échange sur la littérature, la photographie, l’amour, le sexe, la drogue. L’image guibertienne dévoile, entre autres, un désir vivace pour les corps masculins — celui de Thierry ou encore de Vincent. Ils se figent dans des circonscriptions intimes, où la beauté côtoie la présence d’une certaine mélancolie et inquiétude, similaire aux contrastes qu’offre La Mort Propagande². Dans ce premier roman, digne d’une écriture moderne d’Une saison en enfer, l’auteur rend état d’un corps jouissant, agonisant puis mort.

La même année à New-York, David Wojnarowicz arrache le visage de Rimbaud d’une affiche d’Ernest Pignon-Ernest. Il en fait un masque, le porte puis le fait porter à ses amants, ses amis – citant la règle Rimbaldienne des multiples, selon laquelle ‘Je est un Autre’. Un acte qui agit comme la prolongation de son effort d’écriture. En mettant le masque, il revêt le ‘je’ et son démon. Il est à la fois singulier et pluriel ; fier représentant des enfants survivants de l’abandon et de la violence.

En 1980, il fait la rencontre de Peter Hujar. D’abord amant, il devient ensuite un père spirituel qui l’oriente vers l’art visuel et surtout la photographie. Wojnarowicz commence ainsi à documenter, avec des moyens techniques précaires, ses voyages ainsi que la scène artistique et social dans laquelle il évolue au East Village, proche de Kathy Acker, Nan Goldin. Au cours de séances au Pier 34 – hangar déserté qu’il découvrit lors de cruisings et dans lequel il réunira une communauté importante d’artistes et de personnalités – il photographie une culture underground fougueuse et militante contre le système homophobe du gouvernement Reaganien.

Tonne alors le milieu des années 80, capital dans le destin de ces deux artistes. Michel Foucault, en 1984, et Peter Hujar, en 1987, meurt tous deux, des suites de complications dues au SIDA. Dès lors, la mort, obsession de toujours pour Hervé Guibert, devient une réalité inéluctable. Il la voit dans la déchéance de son ami et la confondra avec la sienne, au travers de l’écriture du personnage de Muzil dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie³. Au sein de l’exposition, elle ombrage le visage et vide le regard de ses autoportraits. Tandis qu’il documente l’autodestruction de ses négatifs de jeunesse, il semble apprivoiser la mort dans l’objectif.

Pour David Wojnarowicz, cet évènement intervient également à intervalle rapproché avec l’annonce de son propre diagnostique. Il s’installe alors dans le studio d’Hujar, où il pourra enfin développer ses photographies avec du matériel professionnel, présentés en frises dans l’exposition. D’un Saint-Sébastien criblé de missiles Américains, aux séries d’animaux tantôt captifs, mourants ou cadavériques, David Wojnarowicz met sa peur, sa rage et sa fureur au service de la lutte contre le silence des classes politiques face à l’épidémie. Auprès d’Act-Up et de Gran Fury, il émergera comme une figure centrale de la scène activiste et militante New-Yorkaise.

Face à face, malgré la disparité de leur parcours artistique et politique, Hervé Guibert et David Wojnarowicz nous offrent deux récits qui appréhendent une mort prématurée. Ensemble, ils n’auront échappé à la loi dite Rimbaldienne; ‘Les criminels dégoûtent comme des châtrés : moi, je suis intact, et ça m’est égal.’⁴

Hugo Bausch Belbachir, Thomas Villemin

  1. David Wojnarowicz, The waterfront journals, 1996: “My eyes have always been advertisements for an early death”
  2. Hervé Guibert, La Mort propagande, Éditions Régine Deforges, 1977
  3. Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Éditions Gallimard, 1990
  4. Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer – Mauvais Sang, 1873